Lo Rwa Kaf à La Réunion, Mamady Keïta en Guinée : deux parcours différents pour deux artistes qui n’ont eu de cesse de promouvoir ou de défendre leur tradition. Mamady est internationalement reconnu et ouvre écoles et stages qui font référence. Lo Rwa Kaf s’illustrait lui, par sa persévérance tranquille afin que vive le Maloya. Deux personnalités qui honorent la Culture Tambour.

Mamady Keïta : Djembé mandingue, djembé de paix

Mamady Keïta est djembéfola, maîtredjembé. De sa Guinée natale au monde entier, il est devenu l’ambassadeur de ce tambour issu dela tradition mandingue. On lui doit en grande partie la douce “djembéfolie” qui touche tous les continents.

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Mamady comment devient-on djembéfola ?

Mamady Keïta : Tu peux être doué, né pour être jembefola, cela ne suffit pas. Tu as besoin d’être initié. J’ai dû apprendre l’histoire du jembe, la tradition qu’il sert, les rythmes traditionnels. J’ai été initié à l’esprit du jembefola, au cercle du jembefola. Il faut aussi connaître les plantes, bonnes et mauvaises… Ceux qui ne connaissent pas ce tambour diront que c’est un instrument pour faire du bruit, ce n’est pas cela! Le jembe est un instrument qui parle comme vous et moi. Avant de commencer à jouer des toniques, des claqués et des basses, il faut connaître l’esprit et la valeur du jembe dans la société. Taper, c’est juste de la technique, c’est rien.

Quelle est la bonne attitude pour apprendre ?

M .K . : La patience… Pendant 7 ans j’ai été accompagnateur, maintenant je maîtrise tout ce que je fais. Je suis fier de ma patience car sans elle, tu rates tout. Aujourd’hui il n’y a plus de patience mais la différence est visible entre celui qui, depuis quarante ans, joue du jembe, et celui qui commence. Un maître n’autorisera jamais celui qui apprend depuis deux ans à faire un solo. Il faut travailler, apprendre les rythmes de base par cœur.
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Face à la modernité, comment se porte la tradition d’où est issue le djembé ?

M . K . : Elle est forte dans les villages, en revanche dans la capitale [Konakry] c’est autre chose. Les jeunes qu’on y entend jouent bien, fort, rapide, ils ont beaucoup de technique. Mais c’est à la manière du ballet. Dans la tradition, tu ne joues pas du jembe pour jouer du jembe, tu ne joues pas pour l’argent. Tu es appelé pour les fêtes qui, elles, ont une histoire et sont liées à une situation. Les rythmes exécutés correspondent à tout cela. Par exemple, ceux de la fête qui marque la fin du Ramadan ne sont pas joués lors des cérémonies du mariage, ceux du baptême ne peuvent pas accompagner les cultivateurs…. Le ballet lui, transforme les rythmes traditionnels, et en crée de nouveaux, pour les besoins du spectacle.

Et l’avenir ?

M . K . : J’espère que la tradition ne va pas disparaître. L’homme est né pour mourir un jour mais il ne faut jamais accepter que l’Histoire meurt. On peut être moderne, on peut créer mais il ne faut jamais oublier “sa” racine. Tant qu’il y aura des mariages, des événements, on fera toujours venir les joueurs de jembe. On chantera toujours des chants que l’on chante depuis des siècles car ce sont les mêmes situations qui se reproduisent. La tradition est liée à nous. Tu peux la perdre mais dire que tu n’en as jamais eu, c’est faux !

Que pensez-vous de la popularité du djembé en Europe et ailleurs ?

M . K . : Cela me fait plaisir que le jembe ait pris une place extraordinaire sur la planète. C’est la valorisation de la culture manding et de la culture africaine en général. Ce sont des gens ouverts qui viennent à nous. Je constate qu’il y a ceux pour qui c’est une mode. Ils s’en servent pour se réchauffer, transpirer et faire du bruit. La tradition ne les intéresse pas. Et puis il y a ceux qui jouent afin de connaître la culture manding et le Manding. Ils l’utilisent aussi comme instrument de musique.

Votre djembé parle, que dit-il ?


M . K . : Mon jembe dit deux choses à ceux qui viennent nous écouter : Respect de la tradition et Paix. Sur cette planète, nous devons nous entendre. Laissons les politiciens tracer des frontières, nous les peuples, enlevons celles de nos cœurs. Nous sommes des êtres humains et nous pouvons danser, chanter, manger, marcher ensemble. On peut vivre ensemble…

( c ) Propos recueillis par Stéphane Delphin et mis en forme par Diyo Laban


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Voir “Djembefola” Documentaire français et guinéen, réalisé en 1991 par Laurent Chevallier. Le film suit Mamady Keïta de retour dans son village natal qu'il a quitté 26 ans auparavant.
Ecouter : “Djembe Master” 2004 Follow Me Records, est son dernier CD. Sa discographie comprend 8 albums.

 

SYNCOPE N °4 Septembre 2004