Dans quelles circonstances avez-vous
rencontré David Murray ?
Klod Kiavué : Nous
étions tous les deux en résidence au festival Banlieue
Bleue de 1995. J'intervenais sur les chants et les rythmes du Gwoka et
David Murray, lui sur le Gospel. A la fin du festival, nous avons eu un
échange et il a eu une surprise en découvrant le Gwoka.
Qu'est-ce qui vous a attiré vers le Gwoka
?
David Murray : Les
tambours ! Oui, les tanbou. Ils ressemblent à ceux d'Afrique mais ils ne
sont pas tout à fait pareils et c'est cette différence
que j'aime. Quand j'ai commencé à comprendre cette
musique et à connaître son histoire, notamment grâce
à Gérard Lockel (1), elle m'a vraiment intéressée.
Klòd Kiuavé m'a aidé à comprendre les
rythmes et comment ils fonctionnent ensemble. De la même
manière, je l'ai aidé à comprendre la batterie
Jazz.
Avant de jouer avec David Murray, quel
intérêt portiez-vous au Jazz ?
Klod Kiavué : Je n'ai jamais conçu de cloisonnement entre les
musiques. Mon père écoutait toutes sortes de musiques :
Jazz, Blues, chanson française, Gwoka. Cela a forgé mon
éducation musicale. En Guadeloupe, je jouais dans des groupes de
tambours et pour moi, c'était une musique comme les autres. Je
savais qu'en tant que tanbouyé, je pouvais communiquer avec des
musiciens d'ailleurs. Cela m'a paru encore plus naturel avec Murray :
Africains-Américains et Caribéens sommes proches, en
dépit du fait que nous avons été colonisés
par des pays différents.
Comment se traduit musicalement cette
rencontre du Jazz et du Gwoka ?
Klod Kiavué : Au départ, il y a
la musique, " mizik se mizik ", notre langage commun… David Murray est venu en
Guadeloupe, il s'est imprégné du pays et on a beaucoup
discuté. Il a écrit des thèmes à partir de
sa perception du Gwoka, sur lesquels il m'a demandé de poser des
rythmes. J'ai aussi proposé les miens, afin de lui montrer ce
que je voulais exprimer en tant que guadeloupéen. Sur "
Créole Project " (1998), le 1er album que nous avons
réalisé ensemble, il y a des pièces qui sont
des improvisations de Gérard Lockel et David Murray. Avant
d'entrer en studio, ils ont discuté de leur philosophie
personnelle, de ce qui les intéresse musicalement, et ensuite
ils ont enregistré. Sur le suivant, " Yonn-Dé "
(2002), Guy Konkèt chante. Donc la musique était organisée autour
de lui, avec ses arrangements et ceux de Murray. " Gwotèt
", notre dernier-né, est le fruit d'une véritable
ouverture. J'estime que mes propres compositions ne sont pas totalement
du Gwoka et que celles de Murray sont, elles aussi, ouvertes. Je les
définirais comme étant de la " mizik a Nèg ",
oui, c'est comme cela que nous aimons l'appeler, une musique
universelle des peuples noirs.
David Murray : Le
Jazz est capable d'accepter toutes les musiques et de leur apporter de
la sophistication, c'est comme ça ! Je ne sais pas pourquoi.
Que retirez-vous de cette expérience ?
Klod Kiavué : Murray et les autres musiciens sont des pointures qui
depuis plus de trente ans, vivent de leur musique. Nous travaillons
énormément, il y a un niveau très
élevé dans le groupe et nous évoluons dans un
environnement très professionnel. Tout cela m'est
bénéfique. Mais il ne faut pas non plus que nous
sous-estimions notre propre apport en ce qui concerne les rythmes, les
nôtres sont aussi extrêmement sophistiqués
(c) Propos recueillis par Franck Salin et traduits par Diyo Laban
(1) Guitariste guadeloupéen, inventeur du
Gwoka modèn.