TAPOK
Musique Réunionnaise

Interview d'Arno Bazin

A 29 ans, Arno Bazin porte la culture créole par le Chant, la Guitare et le Kayamb au sein de son groupe Tapok né en 2000 (six personnes dont un accordéoniste et un poète). Il est aussi animateur radio*, dans le prolongement de son travail de collectionneur de vinyles de l’Océan Indien; et prof de musique au Lycée de Saint-André. Tapok a sorti fin 2005 son troisième disque "Tapokopat" et jouera le 30 avril 2006 au Festival du Printemps de Bourges. Tapok, c'est un son acoustique et racé, militant et doux à la fois, fait de ballades Séga, de Maloya et de Reggae avec toujours la touche "Ocean Indien" (accordéon oblige).


Ecoute :" Kafrine mon Kafrine " et "Ibiza"
extraits du CD "Tapokopat" (prod.Tapok/dist. Philippe Krumm et JPR - La Réunion)

INTERVIEW :
Comment définir le style de ce dernier album de Tapok qui mêle Maloya, Séga Ballade et Reggae ? De la « musique réunionnaise d’aujourd’hui », du « maloya acoustique », de la« ballade maloya », du « séga maloya », de la « world » ? Dans quels bacs de la Fnac voudrais-tu que le CD soit rangé ?

Arno Bazin
: De la musique réunionnaise sans "l’aujourd hui". Nous on s’est nourris de la tradition qui englobe plusieurs courants….ça fait différentes influences qu’on retrouve dans notre musique ; c’est à l’image de la Réunion qui est elle-même un mélange de plusieurs peuples…
Donc classé musique réunionnaise, c’est ce qui nous conviendrait le plus…

Tu as une solide formation musicale …d’ailleurs peux-tu nous en parler ? Est-ce que pour jouer du Maloya, ce n’est pas un handicap que cette formation ?

A.B. : J’ai une formation de type conservatoire sans être allé au bout de mon cursus, ce qui n’empêche pas à coté d’avoir passé un diplôme d’Etat de musique traditionnelle au même titre que Damien Mandrin dans le groupe…. Moi j’étais spécialisé en Voix avec des accompagnements au banjo et à la guitare. Jules Joron, aujourd’hui décédé et inspirateur du groupe Ousanousava (groupe phare de La Réunion, toujours actif))…C’est lui qui a été mon premier prof de musique au Conservatoire. Pour répondre à ta question, non ce n’est pas un handicap pour faire du Maloya…et j’espère qu’un jour il y aura un cursus de musique Réunionnaise à part entière…

Tu peux nous décrire ton costume de scène qui a l’air bien « Roots » ? C’est en Goni c’est ça ? Qu’est-ce que tu veux indiquer par là ?

A.B. : C’est en toile de jute… Avant les gens utilisaient le Goni pour s’habiller ou pour dormir ( ndlr : on fait sacs en goni aussi )… A travers Tapok, on a voulu faire revivre certaines choses du passé pour ne pas que cela se perde… Les choses ont évolué très vite ici…et il ne faudrait pas oublier le passé.

On parle souvent de toi comme du collectionneur qui a entrepris de recueillir tous les vinyles pressés dans l’océan indien depuis les débuts, pour les masteriser…Tu n’en as pas marre qu’on parle davantage de ce travail de collector que de Tapok ? Quelle est ta motivation à collectionner ces disques ?

A.B. : Non c’est une complémentarité au contraire… L’un peut permettre de faire connaître l’autre…Mon objectif c’est de revaloriser ou de valoriser cette culture que beaucoup de gens connaissent mal ou pas du tout en fait.

Le morceau Tangolaz dit en gros : « Excuse-moi si mon créole il sort de Paris… mais fais pas "genre" tu comprends pas ce que je dis !». Je crois savoir que tu es d’origine réunionnaise mais a été élevé en France et que tu as fait acte de « repatriation » à la Kaz…Comment s’est passée l’acclimatation à la Réunion ? Es-tu considéré comme une « pièce rapportée » ou as-tu finalement trouvé ta place en retrouvant tes racines ?

A.B. : Non, en fait moi je suis né (en 77) en France dans le département 69 (Rhône) et suis arrivé à à l'âge de deux ans à la Réunion et où j’ai grandi…Y'a donc pas eu de « rapatriage », y’ a eu un arrivage avec peu de problème d’acclimatation. Mes racines, ce sont les mêmes que tout le monde avec ces questions sur l’identité, la mémoire, ça correspond à la Réunion.

Tu as un air de ressemblance avec Danyel Waro : la « carrosserie », l’allure avec les lunettes ; tu joues de Kayamb… Est ce que t’arrives à trouver ta place aux cotés du chantre du Maloya ?

A.B. : Dans le Maloya, Danyel est ma référence…En plus il y a tout le coté très revendicatif dans lequel je me reconnais aussi mais y’a pas de place à trouver car il n’y a aucune concurrence, on est des grands camarades…y a pas d’anguille là-dessous, s’il peut nous donner un coup de main, il le fera…..

Ibiza est un superbe morceau reggae, original, fort où l’on comprend que pour vous : Rasta c’est pas une affaire de coiffure ou de Zamal seulement, et qu’ici (à la Réunion ? En prison ?), c’est pas Ibiza ! De quoi dans le détail parle Ibiza ? Quelle est votre position sur le Rastafarisme ? Et la ganja?

A.B. : Tous les textes qu’on chante font partie d’un recueil de textes : qui s’appelle SDF (Sans Domicile et fous) ! Ce qu’on appelle des Fonnker. La plupart sont écrits par Francky Lauret. La chanson Ibiza ça exprime son feeling quand il est sous l'effet du zamal, mais ça parle aussi des problèmes que ça peut amener.. comme la Tôle. Ca dit aussi qu’ici sur terre, ce n’est pas Ibiza… Mais ce n’est ni un plaidoyer ni une condamnation de la ganja en général.

Animateur radio, je suis tombé en 1999 sur l’album de « Tam Tam des Cools » Pa Bezoin Zoit’ Lapér » auquel Aldo Ledoux à l’accordéon et même toi avez participé ? Quelles sont vos filiations avec le mouvement Reggae en général et sa doctrine, et pourquoi pas, si elles existent vos distances avec ce mouvement – eu égard à la spécificité indianocéanienne ?

A.B. : On a tous plus ou moins écouté Marley mais chacun croit en ce qu’il veut dans le groupe…..Pas de réel travail sur le Reggae mais c’est devenu une musique qui fait partie de la Réunion maintenant…Tapok est davantage Kréolèr : ce qui englobe tout le coté militant, la batay (bataille) autour de la défense de la langue créole et de l’identité…Franchement, moi je n‘ai pas une culture française mais une culture réunionnaise…Quand on fait notre musique, on ne peut pas passer à côté des thèmes dont je viens de te parler… Nous on a la trentaine, on pense que les prochaines générations n’entendront plus que du Rap ou du reggae…Nous on joue de la musique réunionnaise avec des textes 100% en créole, c’est en cela nous sommes Kréolèr. .

De quels artistes français et internationaux te sens-tu proche ? Quels disques écoutes-tu actuellement ?

A.B. : Gainsboug, du Jazz, de la Bossa, mais c’est pas vraiment des noms mais plutôt des styles que j’écoute…

En avril vous serez à Bourges, c’est la première fois que Tapok s’exportera sur une « big » scène hors de la Réunion, je crois. Quel est le message que Tapok voudrait faire passer ?

A.B. : Oui, C’est la première qu’on jouera en France. On a déjà été aux Seychelles en octobre 2004 dans le cadre de la Semaine Créole. Et là on sera à Bourges du 25 au 1er mai, pour un concert le 30 avril à midi dans la salle « La Hune ». C’est la première qu’on jouera en France. On espère que le public qui a aimé Davy Sicard l’an dernier reviendra pour nous écouter aussi …Mais on sera aussi à Paris le vendredi 28 avril (attention annulé) pour un enregistrement public sur France Culture aux côtés de Erik Marchand, Papa Wemba et ce sera ouvert au public, alors venez nombreux !!

Le site et le blog de Tapok

* Si vous êtes de passage à La Réunion, écoutez tous les lundis de 18 à 19h30 sur Radio Ark en Ciel et Radio Pikan l'émission "Tapo ekouté" (Les musiques de l'Océan Indien entre 1926 et 1991).

(c) Propos recueillis par Stéphane Delphin








 

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SYNCOPE Avril 2006