KEYVAN CHEMIRANI

L’INDE, LE mali, L’iRAN 

Pourquoi avoir décidé d'accompagner de grandes voix du monde Nahawa Doumbia (Mali), Sudha
Keyvan3.jpg
Ragunathan (Inde) et Alireza Ghorbani (Iran) avec ces percussions ?

Pour moi la voix est le plus fidèle des instruments, la voix touche immédiatement l'âme grâce à toutes ses nuances.Sur une échelle, je place les percussions juste après la voix, on peut rapprocher une langue et son rythme, et le rythme du Tombak va rejoindre le battement du cœur

La voix, le zarb, les battements du cœur, cela rejoint le travail que vous avez effectué sur la parole ?

Oui à ce sujet je voudrais clarifier certaines choses : mon travail est un travail sur la parole et non pas sur la voix. La prosodie des langues. La musicalité et le rythme des langues. Chaque langue est inhérente à chaque culture, chaque langue chante la mélopée de sa propre culture. Le rapprochement de la musique et des langues est tout un travail que nous avons commencé à étudier avec Frédéric Devalle en août 2004 à l'abbaye de Royaumont. C'est un travail sérieux sur la poésie et la métrique des poésies et on l'a fait principalement pour l'Iran et l'Inde du sud.

Lorsque vous avez décidé d'élaborer ce concert qu'est ce qui vous a poussé choisir des voix indienne, malienne et iranienne ?

Cela s'est fait suite à l'album qui porte aussi le nom " rythme de la parole " mais qui a été enregistré au hasard de mes rencontres et voyages dans différents pays et mis sous presse au printemps 2004.

Le Mali ?

Pour le Mali j'ai découvert la musique africaine assez tard et elle ne m'intéressait pas…Aussi est-ce le hasard des rencontres…. Là, c'est le cœur qui parle. S'il faut analyser la musique malienne je dirais qu'elle est très répétitive même s'il existe des petites variations.il y a un côté obsessionnel et répétitif, et envoûtant . Cela me plait énormément. Pour la métrique de la poésie, il faut savoir q'au Mali, il est très difficile de trouver un répertoire de poème. Les histoires se transmettent de manière très vivante,la poésie, les contes sont transmis de griots (conteurs) à griot. Il n'y a pas cette culture écrite du poème. D'un griot à  un autre l'histoire change, un griot change les mots se réapproprie l'histoire… Tandis que les poèmes iraniens sont méthodiques, régis par l'écriture. Le rythme les mots et le sens des phrases sont importants…

L' Inde ?

Pour l'Inde cela vient certainement de mon cursus en mathématiques. J'ai découvert la musique de l'Inde du sud et tout de suite elle m'a attirée par sa grande rigueur mathématique. J'ai été conquis par la construction et le développement de la rythmique très excitant pour mon mental.  Il y a tout le monde de la science dans la métrique du jeu et l'agencement des rythmes est très ludique… l'inconvénient c'est que la complexité des rythmes rend abstrait le travail. Mais en même temps ce n'était pas une musique intellectuelle, il y avait une grande virtuosité  et une force dans le jeu. Pour moi, l'Inde est le paradis des percussions, pour moi ceux sont des maîtres…Ils réunissent à la fois la virtuosité, la science, la sensualité, le cœur, l'émotion et l'intellect pour moi ceux sont ceux qui sont allés le plus loin. Je suis allé à Madras  j'ai essayé de comprendre le système de métrique de la musique indienne en particulier dans l'Inde du sud. J'y ai vu des enfants musiciens vivre au jour le jour, ils relient tout à Dieu. Il y a vraiment un rapport au sacré… Il y a une vrai dévotion dans l'acte musical. Pour eux c'est un acte pieux et ils commencent par saluer la photo d'une divinité ou d'un gourou avant de se mettre à jouer.Je me sens frère avec les musiciens indiens. C'est jubilatoire de comprendre leur système métrique et de pouvoir jouer avec eux…Ils étaient heureux car très peu d'étrangers peuvent jouer avec eux

L'Iran ? 

tombak1.jpg

Par rapport à l'Iran, c'est la connaissance de la poésie qui a été le facteur déterminant de mon choix… et mes origines. Mon père est iranien, ma mère est française et j'ai vécu dans le sud de la France dans un petit village près de Manosque. J'ai adoré mon enfance. Mes parents avaient le projet d'aller vivre en Iran mais avec les évènements (Ndrl : la Révolution) cela ne s'est pas fait.Dans mon enfance, la seule langue que j'ai apprise était le français. A la maison bien sûr, de grands maîtres venaient travailler avec mon père C'était magique.Une belle atmosphère.Et puis il y avait cette langue que j'entendais que je ne comprenais pas et qui pourtant était tellement chargée de sens. Donc j'étais déjà attaché aux sons de cette langue et de ce qu'elle pouvait évoquer même si je ne la comprenais pas : la sensualité, le rythme, la rigueur

Est-ce que cela veut dire que vous n'adhérez pas à d'autres systèmes rythmiques d'autres pays ?

Ce que j'adore avec les percussions en général c'est incroyable comment chaque pays, voire chaque région, développe leurs percussions avec des rythmes différents, des techniques différentes, des instruments différents. Et puis, même j'irai plus loin une pulse, une manière de sentir le son, le rythme différent, de se placer sur un temps différent. C'est d'une richesse absolue, c'est extraordinaire ! Une façon de placer son instrument par rapport à soi, une façon de vivre son instrument… On voit bien dans le spectacle que chaque musicien a un rapport à l'instrument …  Simplement il y a par la force des choses des choix, on se sent attiré par des choses plus que d'autres… Moi je suis très attiré par les percussions brésiliennes mais c'est impossible pour moi de suivre la rythmique afro-cubaine populaire." ma richesse à moi elle n'est pas dans une tradition, elle est vraiment dans l'ouverture vers d'autres cultures "

Est-ce que vous pensez pouvoir écrire après tout le travail que vous avez créé sur le musicalité du verbe, de la langue, des métriques de la poésie et rythmiques une méthodologie sur le zarb, Un peu comme Ostad Hosain Tehrani car c'est en fait  ce que vous proposez dans le spectacle multilinguistique et pluri-culturel que vous donnez et allez donnez en tournée cet été ?

Je ne sais pas, ma richesse à moi elle n'est pas dans une tradition, elle est vraiment dans l'ouverture vers d'autres cultures. Elle est située dans l'étude et la compréhension de certains systèmes de métriques. Elle est située dans la croyance que j'ai de pouvoir dialoguer avec d'autres cultures très fortes. Lorsqu'on a été baigné dans une culture méditerranéenne, les règles et les manières d'appréhender les autres rythmes sont rigides. La compréhension  n'est pas très immédiate. moi je sais que lorsque je me suis approché d'autres cultures, j'étais tellement ignorant qu'il a fallu que je fournisse un réel travail pour comprendre que cela n'était pas si simple que je le pensais. Moi ce qui m'intéresse et je tiens à le dire, ce n'est surtout pas de faire un travail sur les points communs mais de garder les différences de chacune de ces cultures et des sonorités Que chacun, chaque culture garde ses singularités. Que chacun fasse un pas vers l'autre avec une volonté de dialogue.



( c )  Propos recueillis par Yasmina Rayeh
SYNCOPE N ° 12 MaI  2005
Photo : ( c ) Yasmina Rayeh
Photo : ( c ) Yasmina Rayeh